Le mythe de la sirène et l’évolution de son image à travers les époques

Depuis toujours, la sirène n’a de cesse d’inspirer les artistes. Véritable muse, cette créature dans un premier temps mythologique verra son image, sa symbolique mais aussi son apparence évoluer au fur et à mesure des époques tout en gardant toujours certaines de ses caractéristiques. 

Ulysse et les Sirènes, Waterhouse, 1891

Ulysse et les Sirènes, Waterhouse, 1891

Le mythe de la sirène prend ses origines dans la Grèce Antique. D’après Homère, en Sicile, des créatures mi-femme mi-oiseau s’en prennent aux marins égarés. Elles chantent et jouent de la musique pour les attirer, leur faire perdre le contrôle de leur bateau jusqu’à ce que celui-ci se fracasse sur les récifs. Les marins finissent alors dévorés par ces créatures tout de même loin d’être aussi séduisantes qu’on voudrait bien nous le faire croire. 

La cave des nymphes, Poynter, 1903

La cave des nymphes, Poynter, 1903

Homère ne nous décrit d’ailleurs pas vraiment les sirènes. Il les décrit simplement comme des femmes aux voix enchanteresses, au bord de mer. C’est Ovide, dans Les Métamorphoses, qui nous les décrit. Il nous parle de femmes ailées, à moitié humaine, à moitié oiseau donc. On est loin de la sirène réellement rattachée à l’eau. Elles sont surtout des créatures de l’air à cette époque là. 

Ces créatures ont différentes origines. Tout d’abord, on pense qu’elles auraient été il fut un temps, les suivantes de la déesse Perséphone. Lorsque celle-ci se fait enlever par Hadès, elles n’agissent pas, ne font rien pour la défendre.  Pour les punir, elles sont transformées en monstre par Démeter et vivent alors recluses, loin des hommes. De part cette origine, elles sont étroitement liées à la mort. On retrouve énormément de représentations de sirènes dans l’art funéraire. On dit qu’elles chantaient à la gloire du dieu des Enfers… Et puis, elles apportaient la mort.

Les Sirènes, Rae, 1903

Les Sirènes, Rae, 1903

On donne aussi à ses créatures une toute autre origine. Cette fois-ci, elle serait rattachée à la déesse de l’amour et de la beauté, Aphrodite. La déesse souhaitait offrir la virginité de ces jeunes femmes à un dieu mais celles-ci refusèrent. Alors pour les punir, Aphrodite les transforma en créatures ailées. Toujours très sympathique cette chère Aphrodite.

Les sirènes ont d’ailleurs énormément de points communs avec la déesse de l’amour et de la beauté. Tout d’abord, même si on les décrit comme des monstres, cette image finit par évoluer et les sirènes deviennent petit à petit de réelles tentatrices. Elles sont très attachées à leur physique, à leur beauté et utilisent celle-ci pour en venir à leur fin. Les artistes les représentent aussi très souvent avec un miroir à la main, symbole ultime de la beauté. On retrouve aussi l’image du coquillage clairement rattachée à la déesse… De plus, tout comme la déesse qui est née de l’écume de mer selon les versions, les sirènes quant à elles y sont directement rattachées. On les décrit lascives sur les rochers attendant les marins. Henrietta Rae nous donne d’ailleurs une représentation de sirène digne d’une naissance de Vénus, étendue de tout son corps face au spectateur.

Ulysse et les Sirènes, Draper, 1909

Ulysse et les Sirènes, Draper, 1909

Dans l’antiquité, les sirènes ont donc très mauvaise réputation. Encore une fois, on rattache l’image de la femme à quelque chose de monstrueux. La femme est la tentatrice, celle qui désoriente l’homme et qui l’empêche de rester sur le droit chemin. 

Dans les mythes, on retrouve tout de même quelques personnes qui réussissent à détourner les charmes de ces créatures dites marines. Jason et les Argonautes s’en sortent grâce à Orphée. Celui-ci chante et joue de la musique de manière si parfaite qu’il couvre le chant des sirènes. Elles sont tellement vexées qu’elles se suicident en se jetant contre les rochers ! 

Ulysse quant à lui a été mis en garde par la magicienne Circé. Celui-ci fait mettre de la cire dans les oreilles de ses compagnons pour ne pas entendre les sirènes et demande à être ligoté au mat de son bateau pour expérimenter ce fameux chant divin. Draper représente tellement bien ce passage de l’Odyssée d’Homère. Et fait plutôt intéressant, il représente des sirènes complètement humaines et une autre avec une queue de poisson…

Le pêcher et la sirène, Ekvall, XIX / La sirène et le pêcheur, Leighton, 1856-1858

Dans la Grèce Antique, la sirène a donc une image très néfaste. Rattachée étroitement à la mort elle va tout de même au fur et à mesure se transformer en tentatrice, en femme fatale. Au Moyen-Age, on lui donne beaucoup moins d’importance car on délaisse la mer. Celle-ci est tout de même fortement liée à la sensualité. On lui donne aussi de nouvelles origines. D’après le Livre d’Hénoch, les anges déchus en rébellion contre Dieu allèrent sur terre pour enfanter des humaines. De là naitraient alors les sirènes, de véritables créatures démoniaques et tentatrices. Elles seront alors énormément liée à la luxure. On retrouve d’ailleurs beaucoup de représentations dans les églises.

Les sirènes perdent alors peu à peu leurs plumes et leurs griffes pour se retrouver avec un buste de femme, une belle poitrine, de longs cheveux et une queue de poisson à la place des jambes. La sirène scandinave prend vie. Il me semble qu’elle est citée dans l’Edda, le livre retraçant la mythologie nordique et datant de 1220. Mais déjà bien avant cela, en Scandinavie, on parlait déjà des sirènes. Avant le VII° siècle, elles étaient décrites comme hideuses. Ensuite, elles prennent les traits de jeunes vierges donc dans l’idée de l’époque : belles, attirantes, séduisantes. On oublie complètement la sirène antique. 

Le Baiser de la sirène, Wertheimer, 1882

Le Baiser de la sirène, Wertheimer, 1882

Il y a donc un certain contraste entre l’image de la sirène, jeune et vierge et le côté femme fatale et dangereuse qu’on lui associe. En même temps, depuis l’antiquité, les sirènes vivent seules, entre femmes, n’appartiennent à aucun homme. En réalité, elles sont libres et forcément, ça fait peur ! Elles contrôlent les mers et les tempêtes et cela fait directement échos à la violence des sentiments, à l’émotivité. Elles peuvent être calmes et dociles mais aussi tout détruire sur leur passage. 

Après avoir longtemps fait peur, la sirène commence à fasciner de plus en plus. Elle devient même attirante. Les artistes les représentent de manière sensuelle, érotique et les écrivains quant à eux la romantise. C’est le cas par exemple du célèbre romancier danois Hans Christian Andersen. La Petite Sirène est devenu un chef d’œuvre et une source inépuisable d’inspiration. 

Célèbre dans toute l’Europe, la sirène fera donc véritablement partie du folklore, des mythes et des légendes. Christophe Colomb lui-même dira en avoir croisé trois en 1493 prêt de Saint-Domingue. A partir du XVI° siècle, on exposera soi-disant des restes de sirènes pour amuser ou effrayer la galerie. Puis au XIX° siècle, avec les cabinets de curiosité à leur apogée et les « freak shows », on exposera là aussi des squelettes de sirènes. Evidemment, tout n’était que mensonge, mais ça attirait tout de même les curieux. 

L’Amérique du Sud avait aussi le droit à ses histoires de sirènes tout comme l’Afrique. Par exemple, dans le culte africain vaudoun, une divinité prend les traits d’une sirène et représente la fertilité. Les mythes et légendes défilent donc, avec le bouche à oreille, à une allure folle et dépassent les frontières.

La Sirène, Loeb, 1904

La Sirène, Loeb, 1904

Quand on y réfléchit, la sirène, c’est un peu la toute première pin-up ! Très souvent fantasmée, elle représente une femme animale, exotique, sauvage et indomptable. C’est quand même assez étrange qu’elle soit aussi fantasmée quand on y pense puisqu’elle est tout de même à moitié poisson ! L’Histoire lui aura tout de même laissée ses attributs féminins que ce soit sont ventre, ses seins, ses longs cheveux, son beau visage justement pour jouer avec cette image érotique. Elle est ouvertement tentatrice et cela depuis l’Antiquité. Eve n’est donc pas la première image tentatrice de l’histoire ! Elle sera pendant très longtemps étroitement liée à la mort puisque son chant en est l’annonciateur. Encore une fois, nous avons le droit à un savoureux mélange d’Eros et de Thantos, d’amour et de mort…

Que pensez-vous de ce personnage, de base mythologique et de son évolution à travers l’histoire ?


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13 commentaires sur « Le mythe de la sirène et l’évolution de son image à travers les époques »

  1. Très intéressant !
    Mais on ne sait plus très bien si on doit craindre ou espérer croiser ces créatures !
    Ça témoigne aussi de la difficulté dans laquelle ce trouvent les hommes vis à vis des femmes. Entre l’attraction, l’érotisme, la frayeur, la tentation, la mort, réduites à un corps destructeur ou pourvoyeur de plaisirs… La sirène est le symbole d’une vision des femmes à la fois réduites à un corps et d’une manière ou d’une autre toujours dangereuse.
    Henrietta RAE…. connait pas. Je m’en vais découvrir cette dame !

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  2. J’ai souvent rencontré les sirènes dans le décor des églises en Amérique du Sud, notamment dans celles édifiées par les Jésuites au cours des 17ème et 18ème siècles. Merci pour cet article intéressant et bien illustré.

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