La semaine dernière, j’ai eu la chance d’être invitée à une visite privée au Musée Picasso de Paris. Quelle chance de se retrouver dans un musée complètement vide ! C’était un rêve pour moi de faire ce genre de chose ! 😉 Des œuvres que pour nous, personne qui nous gêne pour les admirer… Le pied non !? C’est à presque se sentir chez soi ! 🙂
Accompagnée par une dizaine d’autres « art influencers », j’ai eu la chance de découvrir la nouvelle exposition du musée consacrée à l’une des œuvres les plus célèbres de Pablo Picasso : Guernica. J’avais déjà adoré l’exposition consacrée à Olga Picasso, quel plaisir alors de découvrir l’histoire de ce tableau dans un musée complètement privatisé. Nous avons eu la chance de rencontrer Emilia, commissaire et conservatrice qui nous a guidé à travers les différentes salles. C’était tellement intéressant !
J’avais déjà parlé ici des différentes fonctions de l’art lors d’une visite au dessus de l’arche de la Défense et c’est intéressant de se rappeler qu’il ne sert pas seulement à être beau. Il sert aussi à dénoncer et à mettre en lumière des faits. C’est exactement ce que va faire Pablo Picasso en créant Guernica. Oeuvre monumentale, impressionnante, gargantuesque. Chef-d’oeuvre incontestable et créé en un temps record (seulement un mois !), la toile deviendra un puissant symbole politique.
Pour commencer il est évidemment important de parler du contexte historique. C’est la première chose à étudier lorsque l’on veut en savoir un peu plus sur une oeuvre ! Guernica a été bouclée le 4 juin 1937 à Paris où vivait Picasso. Pendant ce temps, en Espagne, nous sommes en pleine guerre civile. Celle-ci oppose le Général Francisco Franco et le Front Populaire élu.
Loin de son pays natal, Picasso suit tout ce qu’il se passe en Espagne et décide d’agir à sa manière en faisant ce qu’il sait faire de mieux : créer. Il exécute par conséquent plusieurs œuvres pour dénoncer les atrocités de la guerre. Cela prouve à quel point il se sentait concerné par ce qui se déroulait en Espagne. Il aurait pu fermer les yeux mais non, il a décidé d’utiliser sa notoriété et d’agir. Et puis, il faut savoir que sa famille et ses amis sont restés en Espagne. Il reçoit d’ailleurs régulièrement des lettres de sa mère. On peut donc imaginer l’angoisse dans laquelle il se tenait de savoir ses proches en danger. C’était donc un devoir pour lui de faire quelque chose pour aider la résistance.
Du côté de l’Espagne, les artistes aussi se regroupent pour créer des affiches marquantes voire parfois choquantes afin d’éveiller les consciences et de dénoncer les atrocités commandées par le dictateur Franco. Ils se battent tous pour la liberté. Le Front Populaire commande même auprès de Picasso La Dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin. Ce tableau est d’ailleurs très symbolique puisque le minotaure représente très souvent l’artiste lui même, il est son alter-égo. Cela nous laisse donc imaginer à quel point Picasso se sent concerné par tous ces événements. Il réalise aussi ce portrait difforme et étrange qui représente Franco et le tourne en ridicule.
Guernica s’inscrit dans une continuité. Le tableau reprend plusieurs codes propre à l’oeuvre tout entière de Pablo Picasso. L’artiste s’inspire de nombreux éléments tel que le taureau, le cheval, la lumière, la pleureuse… Il y a évidemment des inspirations bibliques comme la crucifixion déjà présente dans certaines de ses œuvres. Il s’est aussi beaucoup inspiré de Francisco de Goya et plus particulièrement du Massacre des Innocents de Poussin dont il reprend quelques personnages.
« Oui, le taureau représente la brutalité, ce cheval est le peuple. Non le taureau n’est pas le fascisme, mais la brutalité et l’obscurité. » – Pablo Picasso, 1945.
Picasso a énormément travaillé pour cette oeuvre. Terminée en seulement un mois, on compte tout de même pas moins de 40 esquisses ! Et puis, il ne faut pas oublier qu’elle fait environ trois mètres de hauteur sur plus de 7 mètres de longueur… Je n’imagine pas les heures de travail passées dessus pour la terminer aussi rapidement. C’est là que l’on réalise à quel point Guernica était importante pour l’artiste. Et pourtant, au début, elle n’était pas censée devenir un symbole si fort au niveau politique. Du moins, ce n’était pas son but premier.
A la base, Guernica a été commandée pour l’Exposition Internationale de Paris en 1937. On lui demande une oeuvre gigantesque qui habillerait un mur entier. Au tout début il part sur des essais de scène de la vie quotidienne entre mère et enfant, peintre et modèle pour très vite réorienter son projet, dénoncer le fascisme et en faire une oeuvre engagée.
Beaucoup ont dit que le bombardement de la petite ville basque Guernica le 26 avril 1937 avait été le déclic de cette réorientation. Or Picasso y pensait déjà bien avant.
Guernica n’est pas la première ville bombardée mais elle est la plus sanglante ! Elle fait la une de tous les journaux. L’Allemagne nazi y fait une démonstration de force et utilise la ville comme un terrain d’essai pour la future guerre mondiale qui s’annonce. De plus ce bombardement montre aussi la puissance des alliés de Franco (Hitler et Mussolini) et engendre évidemment de la peur.
Picasso apprend tout cela à Paris dans la presse. Il ne perd pas de temps pour préparer ses essais dans lesquels on retrouvera tous les personnages présents sur la toile : le taureau, la lampe, le cheval, le soldat mort ainsi que les mères pleurant leur enfant mort dans leurs bras…
On peut d’ailleurs voir la puissance des couleurs utilisées sur ces dessins. Elles sont très saturées, peut-être pour représenter la violence des faits ou bien d’un autre point de vu, pour montrer l’envie si forte et l’excitation de Picasso de créer cette toile qui mettra en lumière les horreurs commises aux yeux du monde. Petit à petit il décidera de faire disparaître les couleurs et favorisera un camaïeu de noir et gris.
La création de Guernica sera attentivement suivie par la photographe surréaliste et militante anti-fasciste Dora Maar. Pour la première fois, Picasso laissera quelqu’un le photographier en train de réaliser une oeuvre, un moment certainement si intime pour un artiste. En même temps, ce n’est pas comme si Dora était une inconnue puisque celle-ci partage sa vie. La photographe immortalisera alors l’évolution de l’oeuvre. Censée être une scène d’extérieur, elle deviendra majoritairement une scène d’intérieur. Dora immortalise aussi les différentes étapes, les différentes compositions et essais. Par exemple, Picasso avait testé des papiers peints colorés sur sa toile pour ensuite les abandonner et laisser l’oeuvre en noir et blanc. Elle est d’ailleurs sans doute plus parlante, plus violente comme cela… Elle donne l’impression que le temps s’arrête.
Cette collaboration a été un réel plus dans cette création puisque les photos permettaient à Picasso d’avoir un réel recul sur l’oeuvre. Elles lui donnaient une vision d’ensemble et lui permettaient de mieux contrôler son avancée.
Pablo Picasso a d’ailleurs immortalisé Dora Maar dans un portrait. Il la représente dans une petite pièce qui peut représenter leur proximité dans cet atelier où elle le photographie. Peut-être que ce petit espace peut être considéré comme oppressant et donc rappeler la situation actuelle dans laquelle ils se trouvent. Il la représente tout de même comme une femme séductrice avec ses ongles rouges, ses pommettes et ses lèvres maquillées. Néanmoins, une certaine violence se dégage de l’oeuvre et cela par la présence des nombreux clous au niveau de son ventre… Sans doute pour refléter à quel point le contexte dans lequel ils vivent est affreux, surtout pour une militante comme Dora Maar. Et puis aussi… Ne fait-elle pas un peu penser aux célèbres femmes qui pleurent de l’artiste ? (les larmes en moins !)
S’achève alors ici la première partie de l’exposition consacrée aux sources de Guernica, sa genèse et sa mise en oeuvre. La seconde partie s’intéresse à la circulation de l’oeuvre à travers le monde et à la manière dont les artistes contemporains se l’ont réapproprié.
Lorsque l’on monte à l’étage, on retrouve la deuxième reproduction de Guernica créée par un artiste contemporain. Celle-ci reprend quasiment tous les personnages de l’oeuvre initiale. Elle donne une certaine réflexion sur la vie de l’oeuvre et aux dangers qu’elle encoure à être baladé de pays en pays. Peinte de manière très expressionniste, l’artiste tente d’expliquer comment les œuvres peuvent être dégradées. C’est d’ailleurs pour cela qu’au musée Picasso Paris, nous n’avons que des reproductions. L’originale est conservée au musée Reina Sofia à Madrid depuis 1992 après une longue tournée.
On retrouve aussi une sculpture de Picasso intitulée La Femme au Vase ainsi qu’un masque à l’expression très tragique rappelant Le Cri d’Edvard Munch. Cette dernière oeuvre fait encore une fois écho aux tragédies qui se passent Espagne.
Evidemment, on ne peut pas faire une exposition sur Pablo Picasso sans aborder le thème des pleureuses. Sans doute un de ces thèmes favoris. Une salle entière leur est consacrée. Encore une fois, le contexte historique y est pour beaucoup puisque lors des bombardements, énormément d’enfants ont été tués notamment lors du bombardement de Lérida le 2 Novembre 1937 qui visait une école. Picasso décide donc de partir sur l’image de la mère à l’enfant pour illustrer ses pleureuses. Il utilise aussi les traits de sa compagne Dora Maar. Il crée alors des peintures, des gravures et des dessins.
Ces pleureuses sont remarquables et le style de Picasso est reconnaissable entre mille. Elles sont très expressives, elles hurlent à la mort, tiennent des mouchoirs, lèvent le regard et les bras au ciel. Peut-être une manière de représenter la fatalité, l’incompréhension, le ciel qui leur tombe littéralement sur la tête suite au décès de leurs enfants. Leur visage est déformé par la tristesse (et aussi par le style cubiste de l’artiste ! 😉 ). Elles sont vêtues de noir pour symboliser le deuil. On peut facilement s’imaginer que ces pleureuses sont en réalité des allégories de l’Espagne, pays endeuillé pleurant ses morts…
L’engagement personnel de Pablo Picasso est aussi salué. On y découvre une oeuvre intitulée Monument aux Espagnols morts pour la France. Celle-ci est une toile hommage. L’artiste tente de rappeler que les espagnols ont aidé les français à se libérer et à gagner la seconde guerre mondiale. Il crée aussi une association venant en aide aux réfugiés et soulève des dons. Lui même met tout en oeuvre pour aider des personnes dans le besoin. Il notait d’ailleurs tout dans ce cahier de compte. Il était très souvent sollicité pour obtenir des papiers ou un logement. Picasso était un homme vraiment très généreux qui utilisait sa notoriété pour faire le bien.
La fin de l’exposition aborde donc les différents voyages de Guernica. Cette toile devenue un symbole fort et un outil de propagande entame plusieurs arrêts à travers le monde. Elle s’arrête d’abord à Paris, puis à Oslo et Londres pour ensuite passer un certain temps au MOMA à New York. Elle devient LA référence de l’art moderne ! Picasso lui, a intégré le parti communiste français. Il continue à dénoncer les atrocités des guerres notamment le massacre de Corée. Il reprend d’ailleurs certains codes de Guernica comme les pleureuses, la maternité et les soldats. Saviez-vous d’ailleurs que certaines personnes allaient manifester devant cette dernière dans les musées pour protester contre les attaques en Asie ? Pour dire à quel point l’oeuvre était puissante symboliquement…
Après ce long voyage, l’Espagne réclame Guernica. Forcément, toujours sous la dictature franquistes, les espagnoles souhaitent avoir cette oeuvre symbolique avec eux pour lutter contre les répressions et sans doute inspirer une rébellion ou du moins motiver la résistance ! Quant à Picasso, il ne souhaite le retour de son oeuvre que lorsque la République sera revenue. En attendant que la toile revienne, des artistes s’en inspirent ouvertement comme Agustin Ibbarola en 1977. Cela montre que de plus en plus d’artistes se sentent concernés par les événements politiques et décident de se battre comme ils le peuvent.
Guernica sera restituée à l’Espagne un peu après la mort de Franco en 1981. Picasso lui-même décédé le 8 Avril 1973 ne verra donc pas son retour. Néanmoins, son influence restera malgré tout plus que présente. En effet les artistes ne cessent de s’inspirer de son oeuvre sans doute la plus symbolique de toute ! Encore hier, lors des attentats du 13 Novembre 2015, un artiste reprend les personnages emblématiques du tableau… Ou bien cet autre artiste souhaitant montrer l’impacte de ces atrocités sur le corps des rescapés du Bataclan et de Nice…
Se termine donc cette visite au Musée Picasso de Paris. Il y avait tellement de choses à dire sur cette exposition. J’espère avoir été claire et ne pas vous avoir perdu ! L’expo met en lumière le caractère altruiste et militant de Pablo Picasso et montre comment de nombreux artistes ont suivi son exemple par la suite. Guernica est sans doute une des œuvres les plus symbolique du XXème siècle. C’est dingue de voir quel impacte l’art peut avoir sur les personnes… C’est d’ailleurs ça que j’aime dans l’art. Il véhicule toujours un message qui laisse les spectateurs vaquer à ses propres réflexions.
C’était en tout cas super de pouvoir visiter le Musée Picasso dans ces circonstances. Je le remercie d’ailleurs encore une fois de m’avoir invité à cette visite privée. Il me tarde de réitérer l’expérience. ❤
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Oh oui ! Tu as bien raison, on a besoin de solitude parfois 😉
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