Edward Hopper et sa vision du confinement

Le confinement étant instauré depuis maintenant un mois en France m’a clairement fait penser aux œuvres d’Edward Hopper. Vous savez, cet artiste majeur du XX° siècle mettant en scène des personnages face à leur propre solitude et recréant des paysages complètement désertés par la population ? Si vous ne le connaissez pas, c’est le moment parfait pour le découvrir.

Self-Portrait, Hopper, 1925-1930

Self-Portrait, Hopper, 1925-1930

Edward Hopper est un artiste américain né le 22 juillet 1882 dans l’état de New-York et décédé le 15 mais 1967. Son parcours éducatif est assez linéaire et se passe sans embrume. Il se dirige très vite vers l’illustration ce qui montre déjà qu’il avait une sensibilité artistique. En 1900, il accède à la New York School of Art où il y apprend le Réalisme. Afin d’étoffer ses connaissances, il part en voyage à travers l’Europe où il enchaîne les visites de musées. Il y rencontre aussi de nombreux artistes même si lui de son côté à cette époque là ne peint pas encore énormément. C’est pour l’instant juste une activité qu’il se réserve pour ses étés.

Durant son voyage en Europe, forcément, il s’arrête en France et plus particulièrement à Paris. Il tombe amoureux du pays et de sa capitale et y apprend même le français. Il se dit d’ailleurs qu’il adorait réciter Verlaine et continuait même très tard à écrire en français.

Son retour en Amérique est un choc énorme pour lui qui rêve encore de son voyage en Europe et de tout ce qu’il y a vu. C’est sans doute de là, de cette fracture dans son esprit, de cette frustration, que naît alors son style… Il reprend sa vie à New-York en 1908 en travaillant comme dessinateur publicitaire puis comme illustrateur, expériences qui le passionnent guère…

Maison au bord de la voie ferrée, Hopper, 1925

Maison au bord de la voie ferrée, Hopper, 1925

Petit à petit, il commence à participé à des expositions et à vendre quelques-unes de ces œuvres. Il se fait surtout connaître entre les deux guerres. C’est en 1925 qu’il se fait réellement connaitre avec la « Maison au bord de la voie ferrée » qui d’ailleurs inspirera fortement la maison de Norman Bates dans le film Psychose de Hitchcock en 1960. Cette oeuvre accédera au Museum Of Modern Art en 1930, ce qui est une sacrée reconnaissance. Le Musée ira même jusqu’à lui dédier une exposition rétrospective trois ans plus tard.

Compartiment C car 293, Hopper, 1938

Compartment C, Car 293, Hopper, 1938

Pour en connaître un peu plus sur la psychologie de l’artiste (chose que je trouve très importante pour comprendre les œuvres de celui-ci), il faut absolument parler de sa femme Joséphine que tout le monde surnommait « Jo ». Ils se marient en 1924. Elle-même peintre, elle arrête son activité étant très peu reconnue et commence à poser pour son mari au point de devenir son seul et unique modèle. On la retrouve d’ailleurs ici dans « Compatment C, Car 293« .

Leur mariage n’était pas du tout heureux. On sait en tout cas qu’Edward Hopper était très malheureux avec elle. Il se dit que Joséphine avait tous les défauts du monde : colérique, hyper nerveuse, jalouse maladive… Ce pourquoi d’ailleurs sans doute, elle était son seul et unique modèle ! Pourtant, comparé à de nombreux autres artistes (coucou Rodin), Hopper avait la réputation d’être un homme fidèle…

Room In New York, Hopper, 1932

Room In New York, Hopper, 1932

Joséphine ne jalousait pas seulement les autres femmes qui pouvaient lui faire de l’ombre, elle jalousait aussi la réussite de son mari et lui reprochait même sa propre non-reconnaissance. D’après elle, elle s’était sacrifiée pour lui et ne cessait de le lui rappeler. Bref, elle était invivable et pourtant Hopper ne l’a quittera jamais. Ils se disputaient énormément et la seule manière de calmer le jeu pour l’artiste, c’était de se taire…

Edward Hopper était aussi atteint d’une certaine surdité. Cet handicape l’aura sans doute beaucoup inspiré aussi car comme je vais vous l’expliquer un peu plus bas, ses œuvres sont caractérisées par une impression de silence, de néant. On sait aussi qu’il n’aimait pas trop se mêler aux gens, qu’il était assez mal à l’aise en public et je pense donc qu’il était le genre de personne assez introvertie qui ne se sentait bien que dans son atelier ou dans la nature.

Il aimait aussi beaucoup la photographie et cela se retranscrira énormément dans ses œuvres. On aura souvent l’impression d’être derrière un appareil photo et l’artiste s’aidera très souvent de photographie pour travailler ses compositions.

New York Office, Hopper, 1962

New York Office, Hopper, 1962

Quand Edward Hopper commence « vraiment » sa carrière ou du moins, lorsqu’il commence vraiment à se faire remarquer, nous sommes à l’apogée de ce courant artistique que de nombreux artistes vont revendiquer : l’abstraction. Ce courant artistique qui ne laisse pas de place à la figuration et qui se contente seulement des formes et des couleurs est considéré comme étant la modernité du moment. Hopper lui rejette complètement ça et c’est peut être cela qui le fera sortir du lot à cette époque.

Nighthawks, 1942, Hopper

Nighthawks, 1942, Hopper

Un autre courant artistique arriva à ce moment ou du moins, une mouvance pouvant se rapprocher d’un courant artistique à part entière, ce sera « l’Art Américain« . En effet, en Amérique, plusieurs artistes tentent de reproduire la réalité de leur pays en le valorisant dans un sens et en mettant en avant les icônes de la modernité comme les usines, les machines ou les villes. Tout cela afin de montrer l’évolution du pays et sa richesse.

Edward Hopper fait dans un sens partie de ce mouvement d’artistes purement américains voulant retranscrire la vie des habitants du pays mais il est en réalité très difficile de lui attribuer un seul courant artistique.

Gas, Hopper, 1940

Gas, Hopper, 1940

En effet, on peut dire qu’il fait de « l’Art Americain » dans le sens où oui, lui aussi veut montrer la réalité du pays. Mais à la différence de ses confrères, il ne souhaite pas montrer son évolution mais souhaite plutôt montrer l’état psychologique de ces habitants… Leur solitude, leur mélancolie mais aussi leur exclusion.

Dans les œuvres de Hopper, il y a une réelle profondeur psychologique. Cet envie de montrer cet état psychologique se rapproche énormément du « Romantisme » courant artistique ayant émergé au début du XIX° siècle en Europe. Le Romantisme voue un culte à l’expression des sentiments et notamment ceux comme la solitude et la mélancolie.

Il y a aussi énormément de symbolisme dans ces œuvres qui soulèvent beaucoup de questions et poussent à la réflexion. Pour tout cela, il est donc très compliqué de mettre Edward Hopper dans une seule case. Il ne faut pas non plus oublier qu’il a étudié le Réalisme qui met en avant la représentation de scènes quotidiennes et qu’il est aussi passionné par l’Impressionnisme qui d’une certaine manière, arrête le temps et met l’accent sur des moments précis de la vie quotidienne, des instants éphémères. L’artiste mélange toutes ces influences artistiques pour créer son propre style si reconnaissable.

Morning Sum, Hopper, 1952

Morning Sum, Hopper, 1952

Comme je le disais plus haut, Hopper a parcouru l’Europe et ce voyage a été vécu comme un rêve. Lorsqu’il rentre aux Etats-Unis c’est le choc. Lui même dira : « Il m’a fallu des années pour me remettre de l’Europe« . Il s’interroge sur la place de l’être humain dans cette société hyper capitaliste ou la classe moyenne tente de ne pas s’effondrer. La perception d’un avenir serein est assez compliqué puisque ne l’oublions pas, Hopper a été témoin des deux guerres qui auront déchirées le monde entier. Ses personnages sont donc là, posés, pensifs, et très souvent seuls…

Sunlight in a Cafeteria, Hopper, 1958

La solitude est sans doute l’un des thèmes majeurs de son oeuvre entière. Même lorsque ses personnages sont « plusieurs » dans la scène ils se retrouvent seuls, il n’y a pas réellement de dialogue entre eux. Hopper représente des scènes de la vie quotidienne où l’ennui est étouffant et où il est difficile de s’imaginer un avenir. Dans ses œuvres, c’est comme si le temps était arrêté ou bien comme si les scènes représentées se jouaient hors du temps. Le silence est aussi très présent et il n’y a pas de mouvement. Tout est très statique.

Office in a small city, Hopper, 1953

Office in a small city, Hopper, 1953

Il met aussi très souvent en opposition les intérieurs et les extérieurs. On retrouve souvent la présence de fenêtres, de portes, des bâtiments et le cadrage, la prise de vue fait en sorte que le spectateurs se retrouvent en position de voyeur. Tout cela fait référence à l’exclusion. Les personnages se sentent exclus mais nous aussi, les spectateurs sommes volontairement mis à l’écart. On pense aussi comme je le disais plus haut que Hopper s’inspire de sa propre surdité et qu’il représenterait donc sa propre position face à un monde où il ne se sent pas forcément introduit.

Il y a aussi un réel pessimisme qui se fait ressentir. On pourrait se dire que ses personnages regardent vers l’avenir, ou que ce regard lancé au loin est un symbole d’espoir mais en réalité cela serait plutôt un symbole de vide, de sans fin.

Early sunday morning, Hopper, 1930

Même ses scènes de paysages, de villes ou de milieux ruraux sont désertés. Edward Hopper nous représente des villes fantômes assez pesantes. La lumière est néanmoins très présente dans ses œuvres mais elle n’est pas présente comme un symbole d’espoir, elle est là justement seulement pour montrer le vide ambiant, l’ennui mais aussi le temps qui passe, la répétition d’un même quotidien sans fin.

On peut se demander si toutes ces scènes réalisées par l’artiste sont des souvenirs, de vraies scènes se déroulant devant lui ? Ce qui est sûr, c’est qu’à travers toute son oeuvre, Edward Hopper aura essayé de retranscrire de manière plus ou moins symbolique la réalité du quotidien des américains à cette époque où l’avenir pour certains est bien flou.


Edward Hopper est donc un artiste majeur du début du XX° siècle. Ses inspirations sont si nombreuses qu’il est assez difficile de le ranger dans une case et à vrai dire, on n’a pas forcément envie de lui mettre une étiquette. On peut aussi saluer le fait que comparé à nombreux de ses confrères qui louaient la grande évolution de l’Amerique, lui ait préféré montrer la réalité d’un quotidien ennuyant et pesant sans grande passion. Son voyage en Europe a du grandement le marquer pour qu’il nous dépeigne ensuite une vie lourde et pesante sans aucune joie où l’on attend juste que le temps passe… Ses œuvres font peut-être échos à sa propre mélancolie.

Que pensez-vous des œuvres d’Edward Hopper ? Me concernant, j’aime beaucoup le fait qu’il ait choisi cette approche psychologique un peu pessimiste à l’inverse des autres artistes américains qui préféraient vendre une Amérique sur-puissante.

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14 commentaires sur « Edward Hopper et sa vision du confinement »

  1. Hopper cherche aussi à partager dans chaque tableau travaillé longuement ses inquiétudes sur le monde qui change et dont il ne retrouve plus les repères qu’il connait et apprécie. Cette solitude et ses craintes devant le consumériste galopant et la mondialisation donc une déshumanisation fait de son œuvre d’une étrange réalité en ce moment ! Merci pour ce partage . J’espère que la fondation Beyeler à Bâle va pouvoir poursuivre l’exposition des tableaux paysages …car c’était une magnifique exposition . 😉

    Aimé par 2 personnes

  2. Merci pour ce reportage passionnant sur Edward Hopper
    Je, suis fan de sa peinture et regrette de ne pas avoir vu son exposition à Paris l’année dernière
    Bravo pour ce sujet de l’isolement de l’homme qui colle si bien à l’actualité
    Corinne

    Aimé par 1 personne

  3. Un bel article.
    J’adore Hopper. J’ai eu l’occasion de voir une rétrospective qui lui était consacrée à Lausanne, il y a quelques années. C’était une très belle expo, enrichie de nombreux dessins.
    J’ai été frappé aussi par ces chemins qui ne mènent nulle part et l’absence de chemin vers les maisons. Comme si on ne pouvait pas y acceder. Ce qui renforce le sentiment d’isolement.
    Pour passer à autre chose, j’ai découvert Jo avec votre article. J’ignorais qu’elle était chiante à ce point. Je savais qu’elle était son seul modèle, mais j’avais imaginé une relation comme celle qu’entretenait P. Bonnard avec sa chère et tendre !
    Je découvre votre blog ce matin. Je vais m’y attarder.
    Bonne journée et bon confinement !
    Gier.

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  4. Bravo pour ce beau dossier sur Hopper et ce travail d’analyse. Faire le rapprochement entre confinement et son approche est très bien vu. C’est comme si les modèles vivaient dans des boîte et une sensation de voyeurisme s’installe quand je regarde ses tableaux. Peut-être est-ce dû au fait que l’on rencontre rarement les regards des sujets.
    Merci du partage ! 🙂

    Aimé par 1 personne

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