Danaé, de la Vierge Marie à la femme de petite vertue

Après avoir abordé ici le personnage de Méduse et celui de Phèdre, je me suis dit qu’il serait intéressant de continuer sur ma lancée et d’ouvrir un nouveau chapitre de la mythologie grecque. Je vous partage donc aujourd’hui l’histoire de Danaé.

Danaé, Alexandre-Jacques Chantron, 1891

Danaé est la fille du roi d’Argos, Acrisios. La vie de la jeune princesse vire au cauchemar lorsque son père suite à sa visite chez un oracle décide de littéralement la séquestrer. C’était très fréquent dans la Grèce Antique (et même ailleurs) que les gens se rendent chez des voyants. Les rois en raffolaient. On trouve donc dans la mythologie plusieurs histoires en rapport avec ceux-ci… Cet oracle donc prédit au roi sa mort à venir. Il affirme à Acrisios, qu’il se fera assassiner par son propre petit-fils, l’enfant de Danaé. Craignant pour sa vie et prenant au mot l’oracle, il décide de créer une espèce de donjon en bronze et y enferma sa fille avec une servante. C’était déjà trop tard pour lui… Rien ne peut changer les prédictions des oracles, censés recevoir leurs visions directement des dieux.

Danaé se retrouve donc enfermée bien malgré elle dans un donjon et son père se pense alors sain et sauf. Mais en réalité, la machine est déjà en route… Rien n’échappe à Zeus, le dieu du ciel, qui s’est vivement épris de la jeune princesse. Ne se refusant rien, il décide d’assouvir son désir et s’infiltre dans le cachot. Rien ne résiste jamais à un dieu. Il se transforme en pluie d’or et arrive à atteindre la belle Danaé. De ses amours naîtra alors le héros mythique Persée. Fou de rage, le roi Acrisios enferme sa fille et le nouveau né dans un coffre et les jette à la mer ! Il espère ne plus jamais les revoir… Mais cela est une autre histoire, celle de Persée.

Maintenant que nous avons fait un petit tour du mythe de Danaé, il y a une TONNE de choses à dire et à relever surtout ! Bien sûr, on va s’appuyer sur différentes œuvres d’art datant d’époques différentes qui nous aideront à comprendre un peu l’état d’esprit général qui y régnait.

Danaé, Jan Gossaert, 1527

Le mythe de Danaé est très intéressant en ce qui concerne la vision des femmes à l’époque et comme je le dit très souvent, la Grèce Antique est la base de notre société moderne.

Tout d’abord, Danaé reflète complètement la situation d’une femme dans une société patriarcale et cela à l’extrême bien sûr, n’oublions pas que nous sommes dans un mythe. Celle-ci se retrouve réduite à sa « seule » fonction : la procréation. Il y a en toute logique une grosse référence à la fécondité de par la symbolique de la pluie. Danaé est donc réduite à cette seule mission et le dieu l’utilise tout simplement pour cela, engendrer un nouvel héros. Quant à son père Acrisios, il est mit face à sa propre mortalité et tente par tous les moyens d’empêcher cela.

Danaé est très souvent représentée comme un objet de fantasme mais quelque fois, les artistes la transforme en Vierge Marie comme on peut le voir ici dans l’oeuvre de Jan Gossaert (1570). Celui-ci ne la représente pas entièrement nue mais l’habille de bleu. Pour certains notamment à la Renaissance, l’histoire de Danaé, ce mythe païen, est un outil pour crédibiliser la Bible et plus particulièrement, l’immaculée conception.

Danaé, Goltzius, 1603Danaé, le Tintoret, 1570

Zeus n’est quasiment jamais représenté physiquement dans ces scènes. On ne retrouve que cette pluie d’or et parfois, cette pluie se transforme en pièces. Danaé, autrefois virginale et innocente devient alors cette archétype de la femme vénale voire même de la prostituée.

Il est tellement intéressant de voir ces œuvres les unes avec les autres car on remarque tout de suite les similitudes, les mêmes compositions… Ces rideaux rouges par exemple qui enveloppent Danaé pourraient très bien représenter son cocon, sa virginité bientôt perdue. Ou encore, un cadeau à déballer, une offrande faite au dieu… Et si le roi Acrisios s’était en réalité lui-même mit une épine dans le pied ?

Danaé, Gentileschi, 1612

Danaé est en réalité l’excuse parfaite pour les artistes pour réaliser du nu. A l’époque vous vous en doutiez, ces œuvres faisaient énormément scandales mais le fait de réaliser des scènes mythologiques excusaient ces messieurs. Ici par exemple dans l’oeuvre de Gentileschi, on a à faire à une Danaé plus qu’érotisée. Lascive, endormie, elle est un fantasme de pureté, de jeunesse et d’innocence. C’est d’ailleurs aussi pour cela que Zeus n’apparaît jamais physiquement dans les toiles. Cela laisse libre cour à l’imaginaire des spectateurs.

De plus, l’artiste décide de la faire rousse et on le sait, les rousses sont dans l’histoire des arts le symbole ultime de la tentation. D’ailleurs, pour la petite anecdote, de nombreuses représentations du pêché originel représentent Eve en rousse incendiaire… De plus ici dans les œuvres exposées on voit très bien la couleur qui prédomine : le rouge, symbole de la passion, de la sexualité.

Danaé, Klimt, 1907-1908

Bien plus tard en 1907-1908, Klimt s’y met aussi mais reprend le mythe vraiment à la source si je puis dire. On retrouve Danaé endormie en position fœtale à l’intérieur d’une espèce de poche qui clairement fait référence à la conception. La pluie d’or est présente aussi mais le focus est vraiment fait sur le visage de la jeune femme… qui d’ailleurs encore une fois, est une rousse ! Cette oeuvre est très poétique mais aussi très sensuelle. Le cadre resserré de cette manière donne l’impression aux spectateurs d’être en position de voyeurs ou bien même de faire partie secrètement de la scène…


Danaé est donc un sujet plutôt intéressant de par l’évolution du statut du personnage. Cette prison dans laquelle elle se retrouve enfermée se transforme en réalité en chambre nuptiale. Dans le mythe, elle est très certainement une très jeune femme voire peut-être même une très jeune fille. Ça en dit long sur les mœurs de l’époque et sur ses envies.

Elle est surtout connue pour avoir donnée naissance au héros mythique Persée, le tueur de Méduse d’ailleurs. Elle est donc réduite à son seul rôle de mère et n’est utilisée que pour cela, donner vie au fils de Zeus.

Ayant donné vie au héros, certains décident donc de la « canoniser » et de la transformer en sublime vierge presque pudique jusqu’à ce que certains aventureux la transforment en objet de fantasme. Cela me fait d’ailleurs penser à ce célèbre mythe, celui de la « vierge » et de la « putain »… Danaé passe donc de la personne la plus pure qui soit à une prostituée vénale à qui des pièces d’or sont lancées pour qu’elle se laisse aller…

Que pensez-vous du mythe de Danaé ? Comment l’analyseriez-vous ?


Autres portraits dédiés aux femmes des la mythologie grecque :

Méduse, femme fatale victime de sa beauté

Phèdre, la passion maudite

Médée et la folie meutrière


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16 commentaires sur « Danaé, de la Vierge Marie à la femme de petite vertue »

  1. Bonjour !
    Le dimanche de confinement permet de vous lire. C’est toujours un plaisir.
    Quand je présente à mes élèves ou étudiants les mythes grecs (pour parler de l’histoire des paysages et des végétaux) en préambule, je me sens obligé de les prévenir que presque systématiquement, le consentement des dames est exclu et le viol la règle (de ce point de vue Apollon est au sommet). L’histoire de Danaé ne fait malheureusement pas exception. Bon, faut dire que le statut de la femme chez les Grecs n’est pas terrible. Éternelle mineure, elle a toujours un mâle au dessus d’elle pour organiser sa vie, le père, le mari, le frère….etc. Quand l’un disparaît, un autre le remplace.
    En peinture, durant des siècles, le nu était toléré si et seulement si les personnages représentés étaient ceux de la mythologie. Il fallait ce prétexte pour dénuder les dames (et quelques messieurs).
    Je vais réagir cependant à l’un des tableaux que vous présentez. Celui d’Artémisia Gentileschi (artiste que j’adore… j’en perds peut-être une ou deux onces d’objectivité, vous me pardonnerez bien !?). Les femmes, souvent des femmes très fortes comme son extraordinaire Judith décapitant Holopherne sont au coeur de son oeuvre. Elle était probablement son propre modèle.
    Son Danaé, n’est certes pas sans sensualité. Mais est-elle volontaire, délibérée ? Il me paraît difficile d’admettre qu’Artemisia ait voulu délibérément érotiser son sujet. Violée elle-même et ayant, avec l’aide de son père intenté et gagné le procès contre son violeur (tout est stupéfiant et même extraordinaire dans cette affaire) elle était une femme indépendante et très libre (elle a eut ouvertement plus d’un amant) je n’arrive pas à imaginer qu’il y ait, chez elle, cette intention d’érotisation du corps féminin.
    Ce n’est qu’un questionnement…
    En tout cas encore un bel article.
    Bonne soirée !

    Aimé par 1 personne

    1. Whouaaaa merci beaucoup pour ce retour si intéressant ! J’adore le fait que vous parliez du consentement avec vos élèves lorsque vous abordez la mythologie ! C’est tellement important en effet ! 🙏🏻
      C’est aussi très intéressant ce que vous relevez concernant la Danae de Gentileschi… on peut sans doute y interpréter plusieurs choses c’est ce que j’aime particulièrement d’ailleurs dans l’histoire des arts ! ☺️
      À bientôt j’espère 🌹

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    1. Gerda Wegener ! Haha Je vous rassure, malheureusement, peu de gens la connaissent et pourtant son histoire est si intéressante et personnellement j’adore son style ultra féminin ! Il fallait que je partage son histoire et son œuvre pour lui rendre justice ! 😊

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