Après William Turner, laissons place aujourd’hui à un tout autre artiste. Nous quittons donc l’Angleterre pour nous diriger en Norvège à la rencontre de celui qui est connu comme étant le pionner de l’expressionnisme, courant artistique phare du début du XX° siècle, Edvard Munch. Qui se cache donc derrière Le Cri, ce tableau aujourd’hui si représenté dans la pop culture et que tout le monde connait ?
Autoportrait, Edvard Munch, 1882
Edvard Munch naît à la fin de l’année 1863 en Norvège. Il est issu d’une famille d’historiens, d’une famille bourgeoise. Son père est médecin militaire aux revenus plutôt modestes et sa mère est descendante de riches agriculteurs. Elle est d’ailleurs bien plus jeune que son mari, vint ans les séparent… A cause du travail du père, la famille se déplace beaucoup.
Enfant, Edvard Munch était très faible, maigre et chétif… Il souffrait de différents problèmes de santé. Sa vie commençait à peine qu’elle semblait déjà bien compliquée. Les choses empire lorsque sa mère décède brutalement de la tuberculose et aussi sans doute de son affaiblissement dû à ses cinq grossesses rapprochées… C’est un choc horrible pour toute la famille ! La mère d’Edvard était une passionnée de peinture, on peut d’ailleurs penser que c’est elle qui donnera ce gout pour l’art à ses enfants.
Suite à ce décès, le père constate qu’il a besoin d’aide pour élever ses enfants, il décide donc de prendre en seconde noce, la petite sœur de sa défunte femme. Assez étrange ! Celle-ci n’y voit d’ailleurs aucun inconvénient, elle rêvait absolument de quitter le monde paysan.
La famille de Munch se relève tant bien que mal de cette perte douloureuse mais malheureusement, il semblerait que la famille soit touchée par une malédiction…
L’enfant malade, Edvard Munch, 1885
En effet, quelques années après avoir perdu sa mère de la tuberculose, Edvard Munch perd maintenant sa grande sœur Sophie. En 1877, âgée de seulement de 15 ans, celle qui se destinait aussi à une carrière d’artiste peintre décède brutalement de la même maladie que sa mère… Elle sera retrouvée morte, assise sur un fauteuil. L’artiste gardera toujours ce fauteuil avec lui et cela jusqu’à sa mort ! C’est un traumatisme pour lui et encore un coup dur pour toute la famille. Il lui rend d’ailleurs hommage en 1885 dans ce tableau intitulé L’enfant malade, où l’on peut la voir sur un fauteuil accompagnée d’une personne. Il s’agit de sa tante Karen, qui aura fait figure de mère pour lui et ses frères et sœurs.
Séparation, Edvard Munch, 1896
La malédiction touchant la famille Munch ne s’arrête malheureusement pas là puisque suite à ces décès, elle s’en prend maintenant à la jeune sœur d’Edvard, Laura. Celle-ci perd totalement la raison, et souffre de dépression profonde. Elle est donc internée dans un asile psychiatrique pendant vingt ans ! Cela affectera énormément le jeune Edvard qui perd un à un les membres de sa famille… Son frère Andréas quant à lui semble plutôt bien réussir sa vie, il devient médecin et se marie. Mais encore une fois, la malédiction frappe et Andréas décèdera quelques mois après son mariage d’une pneumonie à seulement 30 ans en 1895…
Il semblerait que ce tableau réalisé un an après le décès de son frère soit aussi une sorte d’hommage. Il y a quelque chose de très spectrale ici. On y voit une femme avec une robe blanche que l’on pourrait imaginer être une mariée et on y voit un homme se tenant le cœur, au teint livide et vert symbolisant la mort. Les deux protagonistes prennent deux directions différentes… Je trouve cette oeuvre tellement triste et touchante.
Edvard Munch était l’enfant le plus malade, le plus fragile et au bout du compte, il sera celui qui tiendra le coup ! L’art sera sans doute un grand soutient pour lui ! Tout ce trop plein d’émotions en lui jaillira sur ses toiles. En cela, il sera donc pionnier, précurseur, de ce mouvement naissant dans l’Est, l’expressionnisme.
Le Cri, Edvard Munch, 1893 / Anxiété, Munch, 1894
C’est à 16 ans qu’Edvard Munch décide officiellement de devenir peintre ! Serait-ce en hommage à sa mère et à sa sœur toutes deux passionnées par la peinture ? Peut-être ! Son père ne souhaite pas vraiment qu’il fasse de sa passion une carrière et le force donc à suivre des études d’ingénierie mais Edvard désertera très rapidement les cours. Il rencontrera du beau monde, des artistes, qui réussiront à lui obtenir une bourse pour qu’il puisse étudier en 1885 à l’école royal du design.
Edvard Munch se détachera assez vite des mouvements naturaliste et impressionniste qui dominent à cette époque !
« J’ai peint les lignes et les couleurs qui émeuvent mon œil intérieur. Je peignais de mémoire sans ajouter quoique ce soit, sans les détails que je n’avais plus sous les yeux. Ceci explique la simplicité des tableaux – le vide évident. J’ai peint les impressions de mon enfance. Les couleurs troubles de mon passé. »
Ce que souhaite Edvard Munch comme il le dit, ce sont les impressions de l’âme. Il veut se livrer de manière assez intime dans ses œuvres et c’est exactement ce qu’est l’expressionnisme. L’expressionnisme déforme la réalité, d’où ces ondes et ces formes étranges, mais livre les émotions, ce que Munch appelle donc les impressions de l’âme. Il ne faut pas non plus oublier qu’à la fin du XIX° siècle, la psychanalyse est à son apogée ! Freud fait énormément parler de lui. On souhaite vraiment entendre les états d’âme, les analyser et comprendre l’être humain. De manière surement cathartique, Munch nous confiera donc toute sa vie en mettant un certains point d’honneur à nous raconter ses souvenirs d’enfance.
Il sera si dévoué à son art et à ses émotions qu’il ira parfois jusqu’à réaliser plusieurs fois le même tableau à des années complètement différentes pour se rapprocher au maximum de ses impressions passées et de ses sentiments. Il existe par exemple pas moins de cinq versions du célèbre Cri. Cette oeuvre représente l’anxiété de l’artiste mais aussi sa solitude. Le ciel qui semble en feu représenté par ces ondes que l’on retrouve énormément dans son oeuvre représente son état psychologique. Le personnage principal y est complètement difforme, déshumanisé… Cela est clairement l’un des symptômes de l’anxiété et de la dépression, l’impression de ne plus être soi même, ne plus se reconnaître, se sentir dépersonnaliser…
Nuit à Saint-Cloud, Edvard Munch, 1890
La mort, la maladie, la dépression et la solitude sont vraiment des thèmes récurrents dans toute l’oeuvre de l’artiste. Toute sa vie, il souffrira de problèmes mentaux et la mort des membres de sa famille ne feront qu’aggraver les choses. En 1889, il vit à Paris où il a la chance de pouvoir étudier les grands maîtres au Musée du Louvre. Il rencontre différents artistes dont ce cher Henri de Toulouse-Lautrec.
Par hasard, il apprendra la mort de son père… Encore une fois, un an après ce décès, on retrouve ce que l’on pense être une oeuvre hommage. La Nuit à Saint-Cloud réalisée en 1890 semble être un dernier au revoir à son père. On y voit l’ombre d’un homme à une fenêtre au clair de lune regarder ce qui semble être des bateaux sur une rive. L’homme dans l’ombre pourrait très bien être Munch lui-même. Cette oeuvre est assez douce, calme et sereine même si en réalité, elle fait échos à la profonde tristesse et solitude de l’artiste… L’omniprésence du bleu chez Munch invite à la méditation et à la réflexion.
Portrait caricatural de Tulla, Edvard Munch, 1905
La vie du peintre était donc vraiment loin d’être de tout repos et du côté sentimental, c’était la même chose ! On lui connait assez peu de relation à vrai dire. On sait qu’il a été en couple avec une certaine Tulla aux alentours de 1902. Ils avaient même une maison ensemble mais un soir, lorsqu’il rentra chez lui, Munch retrouva Tulla dans une mise en scène plus que morbide. Elle s’était mise dans un cercueil entouré de bougies et feignait d’avoir fait une overdose… Imaginez, faire ce genre de chose à une personne déjà traumatisée par la mort ! Lorsque Munch se rendit compte de la supercherie, il rentra dans une rage telle que les deux amants en viennent à se tirer dessus à coup de revolver ! Munch est touché par une balle mais échappe à la mort ! Il réalise ce portrait de lui et de Tulla qu’il prend bien soin de découper pour montrer cette séparation physique mais aussi mental ! Il représente Tulla avec un teint vert, et comme je vous le disais plus haut, ce genre de teint symbolise la mort. (je vous renvoie sur mon article dédié à Tim Burton pour en savoir plus !) Tulla est littéralement morte aux yeux de Munch !
Plus tard en 1908, il a une relation avec une violoniste, Eva Mudocci, qui se termine en rupture aussi… Il décide d’aller vivre à Copenhague et là sa situation dégénère encore plus. Il est sans cesse alcoolisé et commence à avoir des hallucinations. Il se fait donc interner lui aussi en asile…
Vampire, Edvard Munch, 1893
Les femmes n’ont vraiment pas bonnes réputations aux yeux d’Edvard Munch ! Il faut voir comment il les représente parfois. Dans ce tableau représenté en 1893, il représente une rousse incendiaire en monstre sanguinaire. Cette chevelure rousse fait échos aux nombreux mythes sataniques qui persistent depuis le Moyen-Age et c’est intéressant de voir comment elle est représentée. Ils se confondent presque avec du sang à certains endroits… Je pense que Munch avait une peur morbide des femmes et ses relations avec Tulla et cette violonniste Eva lui ont prouvé qu’il était bien mieux tout seul et qu’il n’y avait rien de plus important pour lui que son art !
En 1916, il retourne vivre en Norvège, à Oslo, où il s’achète une maison et continu de peindre.
La mort dans la chambre de la malade, Edvard Munch, 1893
Edvard Munch fait partie de ces artistes qui auront connu un assez franc succès de son vivant même s’il ne sera pas franchement toujours très bien compris ! En 1892 par exemple, il participe à une exposition à Berlin où ses œuvres feront littéralement scandales ! Il est considéré comme un artiste anarchiste ! Il y aura même des protestations suite à cette exposition ! Mais grâce à cette controverse, il se fait un nom !
Il reste vivre un moment à Berlin et se met à travailler sur ce qu’il appelle de manière très poétique « La Frise de la vie » où l’on retrouve plusieurs tableaux qui en réalité raconte la vie de l’artiste.
La mort dans la chambre de la malade réalisé en 1893 en fait partie et encore une fois, fait référence à la mort de sa sœur Sophie. Celle-ci est dans le fauteuil entourée par son père et sa tante et on y voit aussi Munch de dos avec son frère et ses autres sœurs. Je trouve ça si intime, si émouvant.
La Madone, Edvard Munch, 1894
Concernant la personnalité d’Edvard Munch, on peut dire qu’il semblait assez étrange aux yeux de certains. Il parlait de lui à la troisième personnes du singulier. Il était d’ailleurs parfois pris pour un fou ! Il exposait régulièrement ses œuvres dans des endroits insolites, des lieux publics pour qu’elles soient accessibles à tous ! C’était peut-être une manière pour lui de se rebeller contre la bourgeoisie et le marché de l’art, un monde très fermé surtout pour cette époque. Il ne s’inquiétait même pas de la météo qui aurait pu détériorer ses œuvres… Il écrivit aussi quasiment tout au long de sa vie des journaux intimes. Mais encore là, il ne faisait rien comme tout le monde. Dans ses journaux, on ne retrouve pas seulement des mots, il y a des couleurs, des formes, des symboles…
Cendres, Edvard Munch, 1894
Edvard Munch vit donc la fin de sa vie en Norvège, là où tout a commencé pour lui. Dans les années 30 et les 40, les nazis estiment l’art de l’artiste d’art « dégénéré ». Ils font enlever toutes ses œuvres des musées allemands. Cela lui fait énormément de peine puisqu’il a vécu plusieurs années à Berlin et qu’il adorait l’Allemagne.
En 1944, à 80 ans et après une vie bien compliquée, Munch décède dans sa maison juste avant l’invasion Nazi. Il léguera toute sa collection personnelle à la mairie d’Oslo. De manière assez ironique et plutôt horrible, lui qui était un antinazi se fait organiser ses funérailles par ce mouvement. Une commémoration aura donc lieu en son honneur avec des croix gammés partout… Même dans sa mort on ira le tourmenter !
Le Baiser, Edvard Munch, 1897
Edvard Munch disait : « la maladie, la folie et la mort sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et m’ont accompagné toute ma vie »… Cette citation résume bien la vie de cet artiste tellement important pour son époque ! Malgré tout ce qu’il a connu, toutes les peines, les traumatismes et les déceptions, il a quand même tenu bon ! Il a même transformé toutes ses mauvaises émotions en quelque chose de beau et de poétique. J’imagine que ça a dû être horriblement difficile.
Munch est un pionnier. Avant tout le monde, il faisait parler son âme et il a ouvert la porte à de nombreux autres artistes après lui ! Ses tableaux sont ses souvenirs, peut-être avait-il peur d’ailleurs de les oublier un jour… Ils étaient donc les témoins de sa vie et aujourd’hui, ils le sont encore !
J’apprécie énormément cet artiste. Il est vrai je l’avoue, que j’ai un faible pour les artistes torturés et vrais, ceux qui osent se livrer à travers leur art et d’une certaine manière, j’ai l’impression qu’ils nous transmettent un message : « vous n’êtes pas seuls »…
Que pensez-vous d’Edvard Munch ?
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J’aime beaucoup « Vampire » et « Le Baiser » ainsi que le tableau qui est en couverture de l’article. 🙂
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